L’ouverture de la prise de décision dans la cité à tous les citoyens dès 508 av. J.-C. à Athènes a-t-elle impliqué une ouverture de l’éducation à l’ensemble des citoyens ?
La notion d’éducation doit être précisée. D’abord réservée aux aristocrates, elle ne se limitait pas à l’acquisition de savoirs ou de compétences intellectuelles. Jusqu’au milieu du VIème siècle av. J.-C., elle était avant tout militaire. Puis l’éducation athénienne se diversifia, tout en s’adressant néanmoins de façon privilégiée aux plus riches, comme le souligne Platon. La pratique de l’athlétisme permit de faire passer de l’aristocratie au dèmos l’idéal agonistique de compétition, qui trouvait son affirmation lors des jeux panhelléniques (comme les jeux olympiques) : les victoires des compétiteurs faisaient retentir avec gloire le nom de leur cité d’origine.
Les écoles apparaissent durant le Vème siècle, mais ne font pas disparaître les préjugés des classes les plus riches face aux « parvenus de la culture », comme les désigne Pindare. Outre les exercices physiques, les enfants apprennent la musique et la poésie. Loin d’être considérées comme de simples ornements, ces disciplines avaient pour but d’apprendre la maîtrise de soi et la morale. Les enfants apprennent également à lire, écrire et compter. La réussite (et la nécessité) de cette éducation apparaît lors des votes d’ostracisme instaurés par Clisthène ou peu après lui : lorsqu’un homme politique prenait trop d’influence dans la cité, on réunissait l’ecclesia (un quorum de 6 000 votants était requis) et chacun écrivait sur un tesson le nom de celui qu’il désirait exiler de la cité. Cet usage impliquait la maîtrise de l’écriture par tous les citoyens, et les tessons retrouvés à Athènes témoignent de la réussite de cette éducation primaire.
Dans la deuxième moitié du Vème siècle apparurent de nouveaux maîtres, appelés les sophistes. Ils avaient pour but non d’éduquer les hommes de la cité, mais d’éduquer les hommes politiques. Ils ne s’adressaient pas à l’ensemble des citoyens : outre le fait que les charges administratives étaient restées aux mains des plus riches, l’enseignement délivré par les sophistes était un enseignement particulier et non collectif, coûteux qui plus est. Leur formation s’adressait à de petits groupes et durait trois ou quatre ans. Les sophistes passaient de cité en cité en prononçant des conférences pour montrer leurs compétences et se faire embaucher au meilleur prix. Un des sophistes les plus connus est Protagoras, qui apparaît chez Platon dans le dialogue du même nom. Protagoras désirait enseigner à ses élèves « l’art de la politique », c’est-à-dire non celui de posséder la Vérité, mais celui d’avoir toujours raison. Les sophistes enseignaient donc l’art du discours, la rhétorique, pour que les jeunes gens qu’ils formaient pussent toujours battre leurs adversaires lors des joutes oratoires à l’assemblée et persuader les votants. Ces compétences nécessitaient une solide culture générale, un apprentissage des sciences et une érudition littéraire.
Sans développer davantage sur le sujet, on retiendra surtout que le discours politique fut alors confisqué par des spécialistes (des hommes issus de familles ayant de gros moyens financiers, nécessaires à une éducation poussée des enfants) qui s’imposaient lors des assemblées en tant que leaders politiques. La parole dans l’ecclesia n’était plus vraiment celle du dèmos ; celui-ci ne pouvait plus participer que par le vote, et non par le débat.
Une telle évolution ouvrait la voie à de possibles réductions du corps civique : les citoyens ayant moins de prise sur les décisions collectives, était-il encore nécessaire qu’ils fussent nombreux, et ne pouvait-on revenir à un système oligarchique où seuls les meilleurs (les plus riches, les plus instruits) possèderaient la citoyenneté ? De fait, à la fin du Vème siècle, Athènes connut deux expériences oligarchiques.
Bibliographie : H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, I, Le monde grec (Points Histoire, Seuil).
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