mardi 4 décembre 2007

La réforme de Clisthène ou l’influence du découpage territorial dans le débat participatif

   Aux VIIème-VIème siècles, en Grèce, la figure du pouvoir la plus répandue est celle du tyran ; la cité d’Athènes ne fait pas exception à cette règle. En 561, Pisistrate y prend le pouvoir ; il est présenté par les sources comme étant soutenu par les paysans pauvres et les artisans, contre l’oppression oligarchique. Une politique de grands travaux lui permet de donner du travail aux habitants de la ville. Pisistrate organise également plusieurs cultes qui ont pour vocation de souder la communauté civique (culte d’Athéna, de Dionysos, de Déméter). Après la mort de Pisistrate, ses deux fils, Hipparque et Hippias, lui succèdent ; Hipparque est assassiné en 514, Hippias doit quitter la cité en 510. Les oligarques se partagent alors à nouveau le pouvoir.
     En 508, le chef d’une des grandes familles aristocratiques décide de s’appuyer sur le peuple pour lutter contre ses rivaux. Il s’appelle Clisthène. Afin de réduire le pouvoir des oligarques, il procède à un découpage juridique nouveau de l’Attique, le territoire d’Athènes.

   Ce territoire comportait une série de petites unités sociales, villages dans la campagne, quartiers dans la ville, que l’on nommait « dèmes ». Ils formaient des unités juridictionnelles au temps des tyrans. Les dèmes vont constituer l’unité de base du système mis en place par Clisthène ; chaque dème possède sa propre assemblée, à l’intérieur de laquelle tous les citoyens délibèrent sur les décisions administratives concernant le village ou le quartier. À plus petite échelle, le territoire de l’Attique était découpé en trois vastes régions : l’intérieur (Mésogée), la côte (Paralie), la ville (Asty). 
   Le but de Clisthène est de réduire l’influence politique des oligarques. Or les grandes familles ont une assise territoriale : elles sont solidement implantées localement (ça aussi, ça devrait vous rappeler des choses), sur plusieurs dèmes. Afin de casser les réseaux politiques des grandes familles, Clisthène va rompre les liens entre les dèmes proches géographiquement. Pour ce faire, il crée deux autres niveaux de circonscription, les trittyes et les tribus. Les trittyes sont constituées d’un ensemble de dèmes proches les uns des autres ; jusque-là, rien qui puisse bouleverser l’ordre oligarchique. C’est donc au niveau des tribus que Clisthène va jouer : il crée 10 tribus (il en existait 4 auparavant), chacune rassemblant 3 trittyes (pour ceux qui suivent, il y a donc… 30 trittyes, parfait) : une trittye de l’intérieur, une trittye du bord de mer, une trittye de la ville. Dans les tribus, l’influence des oligarques est donc éclatée : alors qu’auparavant les tribus s’organisaient autour de quelques grandes familles aux implantations géographiques proches, elles regroupent moins d’habitants qu’avant (puisqu’il y a 10 tribus au lieu de 4), et ces habitants sont disséminés sur le territoire ; lors des débats dans la tribu, aucune famille aristocratique ne peut plus imposer son avis.
   Quelles sont les conséquences de la réforme de Clisthène sur le débat participatif ? Si l’on reprend les épisodes précédents, on avait : au VIIIème siècle, un débat qui incluait l’ensemble de la population masculine, mais dans lequel seule la parole des aristocrates avait un poids réel, les décisions étant toujours, au final, prises par eux ; aux VII-VIèmes siècles, un pouvoir confisqué par les tyrans, donc, pas de débat (une délégation de la puissance politique aux tyrans par les plus pauvres, s’il faut en croire la tradition historiographique grecque).
   La réforme de Clisthène met en place l’isonomie, c’est-à-dire l’égalité de tous par rapport à la loi (nomos, ce qui régit) : tous ceux qui participent à la vie politique le font à titre d’égaux, à la différence de la tyrannie ou de l’oligarchie. Il ne s’agit pourtant pas encore d’une démocratie, dans le sens où toutes les charges ne sont pas ouvertes à tous, selon des conditions censitaires. En revanche, tous ont droit à une parole de poids égal. À condition, évidemment, de se rendre dans les assemblées où cette parole doit être prononcée.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Brillant !

Julien

Anonyme a dit…

Brillant !

Julien

Aspasie a dit…

Merci. Mais pour l'instant ça ne décolle pas trop du cours de L1… Je pense que ça deviendra beaucoup plus intéressant au moment où… le système se monétarise, en fait. Suite aux prochains épisodes…