samedi 22 novembre 2008

De ce que le législateur devrait avoir en tête lorsqu'il fait les lois

Dans sa Carte Blanche au Monde du mercredi 19 novembre, Ph. Askenazy soulevait deux arguments peu entendus dans les débats concernant l'ouverture des commerces le dimanche : le coût écologique et le surcoût à l'achat.
Coût écologique de l'ouverture dominicale : les grandes surfaces et les zones commerciales couvertes qui ouvriraient le dimanche ont des consommations énergétiques énormes, entre l'éclairage, la climatisation ou le chauffage de vastes espaces constamment ouverts, la réfrigération mise à mal par l'ouverture et la fermeture des banques… Ouvrir un jour de plus dans la semaine serait augmenter ces consommations, sans compter les pollutions induites par les déplacements des clients, mais aussi des employés. Ouvrir le dimanche, c'est accroître l'empreinte écologique de la société, tout en réduisant son rapport à la nature puisque le temps pris pour aller faire les courses en famille n'est pas passé dans des activités de plein-air. Mais rien ne dit que les familles qui iront faire leurs courses avaient auparavant des activités de plein-air.
Deuxième coût, l'augmentation des prix à la consommation. Aux États-Unis, les prix se sont élevés de 4% consécutivement à l'ouverture dominicale. Mais peut-être est-ce considéré comme un remède à la déflation qui guette…

En tout cas, ces deux arguments n'ont pas été beaucoup entendus dans les débats concernant l'ouverture des commerces le dimanche. Le seul bien-être évoqué était celui du consommateur qui pourrait enfin optimiser ses choix de consommations en allant au supermarché le dimanche, avec moins de stress. Que cela augmente ses dépenses en essence ne semble pas rentrer en compte. On pourrait dire que, de toute façon, il fallait bien qu'il se rende au supermarché une fois au moins dans la semaine, alors, le dimanche ou un autre jour… Et bien non, il pourrait tout aussi bien faire les courses dans un commerce de proximité (qui, lui, n'aura pas les moyens financiers pour ouvrir tout le dimanche), ce qui permettrait au consommateur de moins dépenser en essence et de maintenir une activité commerciale près de chez lui. Le consommateur considère qu'il est moins cher d'acheter dans une grande surface plutôt que chez un petit épicier, surtout quand il a deux jours pour cela et qu'il peut aller d'un magasin à l'autre pour comparer les prix. Mais il ne prend pas en compte les coûts d'essence.

En fait, l'une des questions essentielles (c'est le cas de le dire) de cette proposition concerne l'organisation urbaine et l'organisation de l'emploi du temps de chacun : est-il préférable de rester plus tard au travail en se disant qu'on ira faire les courses le dimanche (ou après 21h, puisque déjà la plupart des grandes et moyennes surfaces sont ouvertes jusqu'à 22h), ou va-t-on privilégier une organisation sportive de la journée de semaine (rentrer, faire les courses, récupérer les enfants), sachant qu'on pourra se reposer le dimanche ? est-il préférable de multiplier les commerces de proximité, quitte à ce que leurs horaires soient plus flexibles (et non pas plus larges), ce qui permettrait également de maintenir des emplois de proximité pour les employés travaillant dans ce secteur, ou bien faut-il organiser une répartition fonctionnelle de l'espace urbain en renforçant la tendance actuelle de périurbanisation d'activités commerciales, accessibles quasi-uniquement par des transports individuels.
Deux choix de vie dont il a peu été question.

Dans le même ordre d'idée, les débats (très courts) sur la prolongation de l'activité professionnelle jusqu'à 70 ans n'ont pas posé le problème de la capacité de l'être humain à travailler jusqu'à 70 ans. Une étude récente de l'Inserm montre que l'espérance de vie "en bonne santé" est beaucoup plus courte que l'espérance de vie tout court. En Europe, alors que l'espérance de vie masculine est de 78,6 ans pour les hommes et 83,5 pour les femmes, l'espérance de vie en bonne santé tombe à 67,3 ans pour les hommes et 68,1 pour les femmes. En France, les chiffres correspondant sont respectivement 68 ans et 69 ans  et 8 mois. Autant dire que seules les femmes, en France, peuvent espérer atteindre la retraite en bon état si l'âge d'arrêt du travail est porté à 70 ans. Dans tous les cas, il faudra compter avec des salariés bien en-deça de leurs capacités maximales de production. Le recul de l'âge de la retraite est un objectif dans toute l'Europe, tout comme le recul du chômage de seniors. Pour reculer l'âge de la retraite, en réalité, il faudrait permettre à tous les seniors d'arriver à 70 ans en bonne santé (sinon, où serait l'intérêt de l'employeurs ?). Mais surtout, il faut leur promettre de repousser plus loin cette limite, afin qu'ils puissent profiter de leur retraite et par conséquent accepter de la prendre tardivement (sinon, où serait l'intérêt de l'employé ?).
Mais l'amendement proposé par le parlement français, curieusement, n'évoquait pas cet aspect des choses…

mercredi 19 novembre 2008

Un mois plus tard… un nouveau catastrophiste

Ce qui est réjouissant avec la thématique écologique, c'est le nombre de catastrophes que l'on peut affronter en quelques jours.

Ainsi, les pages Planète du Monde font alterner récits enthousiasmants (des architectes qui améliorent des bidons-villes par des constructions "durables" ; l'oenologie d'Afrique du Sud qui se met au vert…) et descriptions apocalyptiques.
L'interview de Claude Lorius, glaciologue, parue le 12 novembre, appartient à la deuxième catégorie. Attention, Claude Lorius est un optimiste : il y aura "des catastrophes, des cataclysmes, des guerres. Les inondations, les sécheresses, les famines s'amplifieront" MAIS "l'homme sera toujours là". Et oui, bienvenue dans le monde moderne : tout va mal, mais vous n'avez aucune chance d'en sortir !
Claude Lorius accepte l'idée d'anthropocène, associée par Paul Crutzen à l'augmentation des concentrations en CO2. Il l'applique à l'ensemble de la planète (occupation des sols, utilisation des ressources, gestion des déchets). Mais, à la différence de certains écologistes "profonds", il ne met pas en cause la pression démographique ; l'important selon lui est la pression énergétique (un chiffre en passant : au XXème siècle, alors que la population était multipliée par quatre, "la consommation d'énergie dont dépendent les émissions de gaz carbonique était multipliée par 40"). Une des solutions serait d'aboutir à une gouvernance internationale. Mais rien ne semble s'engager en ce sens, parce que les hommes politiques vivent dans le temps court, et que les solutions doivent être pensées par rapport au temps long.

D'où une fin de discussion très pessimiste : "Le développement durable est une notion à laquelle je ne crois plus. On ne peut pas maîtriser le développement. Et pour être durable, il faudrait être à l'état d'équilibre, or cet équilibre n'existe pas. Avant, j'étais alarmé, mais j'étais optimiste, actif, positiviste. Je pensais que les économistes, les politiques, les citoyens pouvaient changer les choses. J'étais confiant dans notre capacité à trouver une solution. Aujourd'hui, je ne le suis plus… sauf à espérer un sursaut inattendu de l'homme".

La question est donc : comment aboutir à ce sursaut ? Faut-il attendre une catastrophe épouvantable ? Ou bien, même dans la catastrophe, les hommes vont-ils se tourner vers des solutions traditionnelles ?
Après l'affolement général dû à la crise financière, les gouvernants ne sont-ils pas en train de revenir à une position ancienne ? C'est l'attitude de G. Bush : inutile de s'agiter, de toute façon, le libéralisme a toujours trouvé un point d'équilibre. Ces propos qui se veulent rassurants (pour qui ?) rapprochent le laisser-faire économique du comportement de Ponce Pilate. Mais doit-on leur préférer un interventionnisme qui pourrait se traduire par le don de 25 milliards d'euros à des firmes automobiles qui n'ont pas voulu s'adapter au changement énergétique ? La défense des habitudes ancrées dans la consommation n'est pas le sursaut attendu. Sauf si les milliards accordés à General Motors sont investis en R&D et en production de véhicules au moins hybrides. Gageons que ce n'est pas ce qui va se produire…