dimanche 31 août 2008

Y a-t-il un lien entre biodiversité et démocratie ?


A priori, non.

Quel rapport entre une notion environnementale et une notion politique ? L’homme, en acceptant le contrat social, sort de l’état de nature. Est-ce à dire qu’il sort de la nature ? Il semble que oui, si l’on reste dans le cadre d’une pensée cartésienne qui pense l’homme comme a-naturel. Penser l’homme au-dessus son environnement est une tradition ancienne, liée au monothéisme (je vais un peu vite, là ; c’est schématique, il faudrait s’intéresser aux détails, mais je reste dans les grandes lignes). Dans la conception humaniste, l'homme est être d'antinature et de liberté, ce qui fait de la nature un domaine autorégulé exploitable par l'homme. Mais cette exploitation peut aboutir à une modification de l’autorégulation naturelle, qui conduit à l’ère actuelle, appelée anthropocène par certains membres de la Société de géologie de Londres.

Aujourd’hui s’opposent les partisans d’une nature qui doit être préservée au bénéfice de l’homme seul (L. Ferry, Le nouvel ordre écologique) aux écocentristes, pour qui c’est pour elle-même que la nature doit être considérée (par exemple Ph. Descola). Ce courant, qui est souvent ramené à la deep ecology et à ses dérives radicales voire terroristes, offre en réalité une option philosophique humaniste pour repenser l’homme dans son environnement, à un moment où la crise environnementale risque de déboucher sur une crise politique, une crise de la cité. La raréfaction des ressources et la pression démographique imposent en effet une optimisation des ressources naturelles, qui nécessite une solidarité planétaire. Le gaspillage actuel des ressources, en augmentant les déséquilibres sociaux et environnementaux, détruit chaque jour un peu plus l’équilibre politique.
Si on part du principe (philosophique) que l’homme social (après qu’il a conclu le contrat, et pas seulement dans l’état de nature) n’est pas au centre du monde ni au-dessus de la nature, mais bien dans la nature, c’est la cité qui se voit réintégrée dans son environnement naturel.

Revenons alors à la biodiversité : celle-ci apporte à la cité des ressources, et plus la biodiversité est grande, mieux les cycles biologiques fonctionnent, plus les ressources apportées sont variées. Cette variété des ressources permet une régulation optimale des conditions de vie dans la cité : par exemple, le respect des chaînes alimentaires permet de réduire la prolifération des animaux qui menacent les productions alimentaires pour l’homme. La perte de la biodiversité induit pour la société un coût économique important : il faut remplacer par des créations humaines, donc coûteuses, ce que la nature n’assure plus parce qu’un maillon de la chaîne a disparu ; par exemple, la diminution de la pollinisation par disparition des abeilles entraîne des surcoûts en semences ou en pollinisation artificielle. Ce coût économique constitue une perte de ressources financières qui auraient pu apporter davantage de services et de bien-être à chacun.
La cité est par conséquent directement concernée par la biodiversité et son évolution.

Qu’en est-il plus précisément de la démocratie ? Le lien existant entre la cité et la nature pourrait être régulé par n’importe quel système. Ce que la démocratie permet, c’est l’implication de chacun dans le maintien de la biodiversité, donc une multiplicité des actions. On constate très bien aujourd’hui la dimension participative de l’observation de la biodiversité : aux groupes d’experts (GEOBON, Group on Earth Observation - Biodiversity Observation Network) s’adjoignent des citoyens sollicités par les scientifiques pour observer chez eux, dans leur jardin, leur campagne etc les modifications des cycles naturels (phénologie). Récemment, l’équipe de Thalassa a ouvert une rubrique internet, les Sentinelles du Littoral, où chacun est appelé à laisser ses observations concernant le littoral qu’il a sous les yeux.

L’observation de la biodiversité constitue un formidable outil de solidarité entre les citoyens : elle rappelle à tous, en milieu urbain comme en milieu rural, les interactions entre l’homme et son milieu ; elles permettent à chacun de prendre conscience des conséquences de ses actes privés pour l’ensemble de la communauté. La mise en commun des informations crée du lien entre les participants, où qu’ils soient dans le monde. Mais cela nécessite une libre circulation des informations et des hommes.
La deuxième étape, après l’observation de la biodiversité, concerne les mesures à prendre, qui doivent engager la société à l’échelle locale, mais également à l’échelle mondiale. Il est donc nécessaire de passer par une phase de discussions qui, elles-aussi, doivent être participatives, ouvertes aux citoyens dans le cadre de jurys citoyens ou d’assemblées locales.

Ainsi, la réflexion de chacun sur son empreinte écologique permettrait d’accroître son empreinte politique. La réinsertion de l’homme dans l’environnement, au lieu de restreindre sa puissance, constitue bien un moyen d’augmenter sa participation démocratique.

mercredi 27 août 2008

La démocratie selon Cornelius Castoriadis


J’ai lu ce matin le compte-rendu de l’ouvrage de C. Castoriadis, La cité et les Lois, par S. Chapel, sur le site La vie des idées. Je ne suis pas certaine d’avoir tout compris, mais en tout cas l’ensemble est stimulant.

Selon Castoriadis, la démocratie tire son unité et son identité du rapport entre la société et un imaginaire appelé les « significations imaginaires centrales » (exemples : Dieu, le Parti, le Capital…). Au VIIe siècle av. J.-C., les philosophes découvrent le chaos dans le monde ; la cité ne dépend donc pas de normes immuables, de dieux, c’est à elle de forger ses institutions par un appel à la délibération collective. En effet, rien n’étant donné, c’est la doxa, l’opinion, qui doit trouver les formes d’organisation. Pour aboutir à un système qui fonctionne, il s’agit de multiplier les doxai. La légitimité de la cité repose donc sur l’assemblée des citoyens (qui n’est pas représentative, mais directe, participative). Les magistrats (au sens antique du terme, c’est-à-dire les responsables politiques) sont principalement tirés au sort. Lorsqu’ils sont élus, ils ne représentent pas le peuple ; l’ensemble des doxai les désigne comme compétents pour accomplir une tâche qui n’excède pas une durée d’un an.

Cette pratique démocratique souffre de deux excès, selon Castoriadis : une démesure (hybris) par excès ; une démesure nihiliste. La première découle de l’absence de signification immuable et de la liberté laissée au démos de choisir ses formes politiques : les décisions des doxai ne peuvent être confrontées à aucun modèle, aucun étalon. L’autolimitation du dèmos reste difficile. La démesure « par défaut » est incarnée par Socrate, qui interroge le fonctionnement de la cité et remet en cause les certitudes des citoyens, sans pour autant proposer de solutions alternatives ; il détruit, sans reconstruire. La cité risque par conséquent de tomber dans un scepticisme nihiliste qui conduit à l’absence d’action.

La faille du raisonnement de Castoriadis repose sur les significations, imaginaires : pourquoi devraient-elles obligatoirement conduire à la démocratie ? En outre, Castoriadis part du principe que la conception du chaos a amené la démocratie ; mais les philosophes qui ont pensé le chaos n’étaient pas tous athéniens, ils n’avaient pas à Athènes une influence plus grande qu’ailleurs. Or dans la plupart des cités grecques, les systèmes politiques sont aussi bien des oligarchies que des tyrannies : c’est la doxa d’un seul, ou celle d’un petit groupe, qui a été préférée à la doxa de tous les citoyens.

La participation démocratique de tous les citoyens dans une assemblée non-représentative est donc un choix parmi d’autres pour ordonner un monde « chaotique ». Ce choix repose sur l’idée que le meilleur des gouvernements repose sur le mélange de toutes les opinions, pour qu’en sorte une doxa collective. Mais, rapidement, l’expression de la doxa collective a été confisquée par ceux qui savaient parler, c’est-à-dire exposer mieux que les autres leur doxa particulière. C’est un risque qui guette toute démocratie participative.

PS : après deux jours d'expérience des annonces Google, je dois avouer que le résultat de l'analyse googelienne des posts est à la fois prévisible et surprenante : je comprends les "locations d'hôtel" sur Athènes, mais la pub pour les services de Supernanny, apparue plusieurs fois, reste à mes yeux étonnante…

lundi 25 août 2008

La fin de la démocratie libérale ?

Il y a quelques jours, paraissait dans les pages Débats du Monde un texte du sociologue allemand H. Welzer concernant le devenir de la démocratie occidentale, à partir d’une étude sur la démocratie en Allemagne (archive payante sur le site du Monde).

Les réflexions sur la remise en question de la démocratie se développent depuis quelques mois. La cause ? Les BRIC et leur modèle de développement qui n’obéit plus à l’équation occidentale traditionnelle "démocratie + capitalisme" : il ne serait plus obligatoire d’instaurer une démocratie pour que la croissance du pays augmente. Comme le souligne H. Welzer, un tel modèle peut séduire bien des interlocuteurs des BRIC (pourquoi pas certains pays africains qui sont déjà en étroite relation avec la Chine, du point de vue économique ?). La perte de vitesse du modèle occidental ouvre "d'autres voies vers une modernité que nous ne connaissons pas". Effrayant, pour un Occident qui voit l’établissement de la démocratie libérale comme une fin de l’histoire.

Face à cette situation, deux comportements sont possibles : s’enfoncer dans le modèle libéral offert par l’école de Chicago ou inventer un nouveau type de démocratie.
Dans le premier cas, H. Welzer prévient contre les dérapages auxquels le mécontentement des classes moyennes pourrait conduire, rappelant les crises totalitaires du XXe siècle qui s’appuient sur une dérive populiste. Appliquons ce raisonnement à la France, qui a su dans les deux siècles passés éviter la tentation totalitaire, malgré les risques boulangistes et poujadistes. Au cœur de l’analyse d’H. Welzer réside l’idée que les classes moyennes ne font plus confiance au système étatique où elles évoluent (en l’occurrence un État providence qui ne protège plus du déclassement). En France, une telle rupture est d’autant plus dangereuse pour la démocratie que ces classes moyennes ont été le terreau de l’option démocrate au XIXe siècle (cf. les analyses de R. Rémond, dans L’introduction à l’histoire de notre temps, le XIXe siècle), permettant la mise en place de la République. Or le système démocratique à lui seul ne peut garantir le bien-être des citoyens, parce qu’à l’heure actuelle il n’a pas de prise sur l’économie. Il pourrait en avoir sur le social, à condition que l’ensemble des citoyens prenne conscience des liens horizontaux (entre contemporains) et verticaux (entre générations) qui seuls permettent de construire une société.
C’est la raison pour laquelle H. Welzer préconise une autre solution : la « modernisation de la démocratie ». Cette modernisation passe par la fin de l’assistance, qui à terme détruit l’idée de solidarité individuelle (puisque c’est l’État-Providence qui est chargé de la solidarité globale), au profit de la participation.

Tiens, nous voici revenus à la démocratie participative. Elle est pour H. Welzer « le seul moyen pour les individus de s’identifier à un ensemble dont ils sont eux-mêmes partie prenante ». Ce qui signifie qu’elle seule peut faire naître le sentiment de responsabilité qui est au cœur du lien social.
H. Welzer n’évoque pas la forme que doit prendre cette participation. On pourrait dire que les Allemands qui assistaient aux discours d’Hitler avaient l’impression de participer à l’œuvre de relèvement national. D’accord, c’est pousser le bouchon un peu loin. Mais la question de l’échelle de participation est cruciale : comment pousser à la participation des citoyens qui participent peu aux élections ? C’est là que l’échelon local intervient. Il faudrait parler de Murray Bookchin et du communalisme. Ce sera pour un autre jour.


PS : pour étudier le lien que fait notre société entre politique et économie, j’ai décidé de m’abonner au système googelien AdSense, qui sélectionne des publicités en fonction du contenu du texte bloggé. Si les lecteurs, consommateurs voraces, sont appâtés par l’un des liens et cliquent dessus, il paraît que ça peut entrer dans ma cagnotte. Je crains de n’être pas très rentable pour les annonceurs, avec le peu de lecteurs que j’ai. Mais rien que pour voir ce qui sort comme publicité par rapport à mes textes, je tente l’expérience.