A priori, non.
Quel rapport entre une notion environnementale et une notion politique ? L’homme, en acceptant le contrat social, sort de l’état de nature. Est-ce à dire qu’il sort de la nature ? Il semble que oui, si l’on reste dans le cadre d’une pensée cartésienne qui pense l’homme comme a-naturel. Penser l’homme au-dessus son environnement est une tradition ancienne, liée au monothéisme (je vais un peu vite, là ; c’est schématique, il faudrait s’intéresser aux détails, mais je reste dans les grandes lignes). Dans la conception humaniste, l'homme est être d'antinature et de liberté, ce qui fait de la nature un domaine autorégulé exploitable par l'homme. Mais cette exploitation peut aboutir à une modification de l’autorégulation naturelle, qui conduit à l’ère actuelle, appelée anthropocène par certains membres de la Société de géologie de Londres.
Aujourd’hui s’opposent les partisans d’une nature qui doit être préservée au bénéfice de l’homme seul (L. Ferry, Le nouvel ordre écologique) aux écocentristes, pour qui c’est pour elle-même que la nature doit être considérée (par exemple Ph. Descola). Ce courant, qui est souvent ramené à la deep ecology et à ses dérives radicales voire terroristes, offre en réalité une option philosophique humaniste pour repenser l’homme dans son environnement, à un moment où la crise environnementale risque de déboucher sur une crise politique, une crise de la cité. La raréfaction des ressources et la pression démographique imposent en effet une optimisation des ressources naturelles, qui nécessite une solidarité planétaire. Le gaspillage actuel des ressources, en augmentant les déséquilibres sociaux et environnementaux, détruit chaque jour un peu plus l’équilibre politique.
Si on part du principe (philosophique) que l’homme social (après qu’il a conclu le contrat, et pas seulement dans l’état de nature) n’est pas au centre du monde ni au-dessus de la nature, mais bien dans la nature, c’est la cité qui se voit réintégrée dans son environnement naturel.
Revenons alors à la biodiversité : celle-ci apporte à la cité des ressources, et plus la biodiversité est grande, mieux les cycles biologiques fonctionnent, plus les ressources apportées sont variées. Cette variété des ressources permet une régulation optimale des conditions de vie dans la cité : par exemple, le respect des chaînes alimentaires permet de réduire la prolifération des animaux qui menacent les productions alimentaires pour l’homme. La perte de la biodiversité induit pour la société un coût économique important : il faut remplacer par des créations humaines, donc coûteuses, ce que la nature n’assure plus parce qu’un maillon de la chaîne a disparu ; par exemple, la diminution de la pollinisation par disparition des abeilles entraîne des surcoûts en semences ou en pollinisation artificielle. Ce coût économique constitue une perte de ressources financières qui auraient pu apporter davantage de services et de bien-être à chacun.
La cité est par conséquent directement concernée par la biodiversité et son évolution.
Qu’en est-il plus précisément de la démocratie ? Le lien existant entre la cité et la nature pourrait être régulé par n’importe quel système. Ce que la démocratie permet, c’est l’implication de chacun dans le maintien de la biodiversité, donc une multiplicité des actions. On constate très bien aujourd’hui la dimension participative de l’observation de la biodiversité : aux groupes d’experts (GEOBON, Group on Earth Observation - Biodiversity Observation Network) s’adjoignent des citoyens sollicités par les scientifiques pour observer chez eux, dans leur jardin, leur campagne etc les modifications des cycles naturels (phénologie). Récemment, l’équipe de Thalassa a ouvert une rubrique internet, les Sentinelles du Littoral, où chacun est appelé à laisser ses observations concernant le littoral qu’il a sous les yeux.
L’observation de la biodiversité constitue un formidable outil de solidarité entre les citoyens : elle rappelle à tous, en milieu urbain comme en milieu rural, les interactions entre l’homme et son milieu ; elles permettent à chacun de prendre conscience des conséquences de ses actes privés pour l’ensemble de la communauté. La mise en commun des informations crée du lien entre les participants, où qu’ils soient dans le monde. Mais cela nécessite une libre circulation des informations et des hommes.
La deuxième étape, après l’observation de la biodiversité, concerne les mesures à prendre, qui doivent engager la société à l’échelle locale, mais également à l’échelle mondiale. Il est donc nécessaire de passer par une phase de discussions qui, elles-aussi, doivent être participatives, ouvertes aux citoyens dans le cadre de jurys citoyens ou d’assemblées locales.
Ainsi, la réflexion de chacun sur son empreinte écologique permettrait d’accroître son empreinte politique. La réinsertion de l’homme dans l’environnement, au lieu de restreindre sa puissance, constitue bien un moyen d’augmenter sa participation démocratique.
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