mercredi 21 novembre 2007

Démocratie sociale, démocratie participative

Lors de la rencontre du 19 novembre 2007 sur le thème de la mobilité, B. Delanoë a défini ce qu’il appelle la « démocratie sociale » : « un dialogue en vue d’élaborer un projet de campagne ». À la fin de son discours, il a présenté la démocratie comme le fait de « se mériter les uns les autres, on mérite de servir une vie collective ».

L’expression de démocratie sociale est ambiguë ici. Normalement, elle renvoie à l’exercice démocratique dans les questions sociales, plus précisément dans le monde de l’entreprise. C’est ainsi qu’elle est employée dans le langage syndical : « L’élan civique qui s’est manifesté tout au long de cette campagne a besoin d’être conforté. Il appelle un renouvellement de la vie démocratique. Cette rénovation est indissociable d’une modernisation de la démocratie sociale. L’écoute, le respect des partenaires sociaux, la qualité du dialogue, la négociation, en sont des éléments essentiels. La méthode que choisira le chef de l’Etat pour impulser les réformes sera à ce titre déterminante » (communiqué SGEN CFDT du 7 mai 2007).
Néanmoins, le qualificatif « social » permet d’élargir la notion. Ainsi, le parti « Démocratie sociale » créé en 2002 voulait rendre aux citoyens (qui constituent le corps social) le pouvoir effectif, confisqué par des « politiciens professionnels ». Or ceux qui ont le pouvoir effectif sont des élus ; par conséquent, la démocratie sociale se distingue nettement ici de la démocratie représentative.

Enfin, on ne peut s’empêcher d’inverser les termes pour songer à la social-démocratie, mouvement socialiste réformiste s’éloignant du mouvement révolutionnaire au début du XXème siècle (pour simplifier abusivement).

Il semble bien que l’expression de démocratie sociale employée par B. Delanoë renvoyait à une conception moins social-démocrate que démocrate sociale, si je puis dire : donner aux citoyens le pouvoir de proposer un nouveau projet de société. Cette interprétation est renforcée par les propos concernant le « mérite de servir une vie collective ». La notion de mérite est extrêmement étonnant : l’exercice de la démocratie ne serait pas un droit, mais une sanction ou une dignité, voire une récompense.

Arrêtons de torturer les mots pour revenir sur le fonctionnement des rencontres instaurées par l’équipe de B. Delanoë pour les municipales, rencontres dont le déroulement est calqué sur celui du débat participatif . La séance s’ouvre par la prise de parole d’un ou plusieurs élus, qui présente(nt) le thème du jour de façon large. Suit une explication précise donnée par un « grand témoin », un universitaire la plupart du temps, que je préfère nommer un expert (mais le choix de l’expression « grand témoin » n’est pas anodine, je vais y revenir). Suit une large phase d’expression libre, durant laquelle les participants exposent leurs récriminations, leur situation ou leurs propositions. La rencontre se termine par un discours plus ou moins long de l’élu, qui ne reprend pas forcément ce qui vient d’être dit mais expose ses propositions. Durant ce discours, comme je l’avais déjà noté la semaine dernière, la partie la plus enrichissante me semble être celle qui précise les attributions des organes décisionnels : rôle de l’État, rôle des municipalités, rôle des particuliers et des entreprises. 
La véritable participation de l’assistance à l’élaboration du projet, c’est-à-dire la véritable démocratie sociale, ne se fait pas tant au moment de la rencontre qu’après, par le biais d’un échange (courrier, site internet) avec l’élu, que celui-ci réclame en précisant d’ailleurs que peu de propositions lui ont été faites au cours de la séance…
Dans tous les cas, il est fait appel à la créativité des citoyens, dont l’activité est présentée comme pure dynamique. Dans le texte de B. Delanoë sur Paris en mouvement, on note une abondance de termes liés à un élan créatif : énergie, amour, convictions, invention, liberté, audace, expression livre et féconde, innovation.
Ce mouvement de la part des citoyens est consubstantiel d’une réflexion mise en place par l’équipe de l’élu (« Ce projet final, je ne dis pas que vous en serez les rédacteurs exclusifs ; il est certain, en revanche, qu’il ne verra pas le jour sans votre contribution »). 

Dans cette mise en place, les experts ont une place mal définie. Présents en tant que « grands témoins », leur rôle est amoindri par des considérations sur les « experts auto-désignés » (à propos de l’environnement, par exemple). Il me semble que l’on rejoint là ce que Dominique Bertinotti avait appelé « l’expertise citoyenne », lors du débat du lundi 12 novembre. La démocratie participative incite le citoyen à se positionner en tant qu’expert, à la place (ou en plus ?) des experts « traditionnels », chercheurs, universitaires, qui deviennent des « témoins ». Cette « démocratisation de l’expertise » est un processus que l’on retrouve dans le Wiki, où la doxa, l’opinion, tend à remplacer l’epistémê, le savoir scientifique (N. Bolz, Der Spiegel, traduit en français dans Courrier international n°825, 31 août 2006, et reparu dans CI HS octobre-décembre 2007, p. 40-41). La poursuite du débat participatif sur les sites internet de campagne en découle logiquement. On pourrait même dire que le débat participatif réel est moins important que la participation « virtuelle », puisqu’il n’apporte à l’élu aucun élément dont il reconnaisse véritablement l’importance (cf. supra) ; cependant la participation virtuelle n’est déjà plus un débat, puisqu’il n’y a plus de confrontation, seulement le dépôt d’idées dans une boîte. Mais sans confrontation, la démocratie est-elle véritablement exercée ?

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