NB : ce post est la version longue d'un article publié le vendredi 10 octobre dans le Libé des Historiens.
La phase des motions avant son congrès de Reims devrait être l’occasion pour le Parti socialiste de tester l’usage des technologies numériques dans les campagnes politiques. Pourtant, la modernité numérique des socialistes paraît mal engagée.
Ils avaient démarré fort en 2006 : dès les primaires pour désigner le candidat à la présidentielle, Ségolène Royal avait utilisé l’outil internet pour pallier son manque de visibilité dans les médias traditionnels. Le site Désirs d’avenir avait offert aux internautes l’accès à des forums, une newsletter, des vidéos Dailymotion intégrées sur le site (alors que l’UMP ne proposait des vidéos que sur Dailymotion) et un référencement des blogs de soutien à sa candidature. L’innovation principale ne résidait pas dans ces outils, connus par ailleurs, mais dans la mobilisation de modérateurs permettant d’alerter sur les contributions intéressantes et faisant la synthèse des forums. Cette synthèse devait alimenter l’ouvrage promis par la candidate et publié en ligne, chapitre après chapitre, afin que les internautes puissent le discuter. L’expérience fut prolongée et amplifiée durant la campagne, grâce à une équipe de 70 modérateurs qui évalua plus de 60 000 contributions. La lourde synthèse issue de ces échanges fut encore enrichie par les synthèses tirées des débats IRL (in real life). Néanmoins, son programme politique ne tenait que faiblement compte de ces débats participatifs. D’où un certain scepticisme au sein du parti (et au-delà) sur l’intérêt d’une telle démarche. Pourtant, les débats sur les forums avaient permis à des contributeurs fidèles de se regrouper, « virtuellement » dans un premier temps, puis IRL, donnant lieu à des comités locaux. C’est-à-dire à un embryon de réseau social qui dépassait la forme adoptée par le site.
La réalisation numérique de ce type de réseau politique est apparue outre-Atlantique avec la campagne de Barack Obama, qui a donné une toute autre dimension à l’usage politique d’Internet. Selon Maurice Ronai, chercheur à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales et délégué national du PS pour les technologies de l’information, elle marque « la rencontre entre l’héritage des campagnes utilisant Internet depuis 2004 et la philosophie du committee organizing ». Cette dernière renvoie à la pensée du sociologue Saul Alinski, théoricien des pratiques d’organisation sociale, qui eut une influence décisive sur les démocrates : Hillary Clinton a fait sa thèse sur la pensée d’Alinski, et Barack Obama fut committee organizer à Chicago. La campagne d’Howard Dean lors des primaires démocrates de 2004 avait utilisé les potentialités de Meet Up, un site internet permettant d’organiser les rencontres entre individus partageant les mêmes intérêts. La mise en place de réseaux sociaux par le biais d’internet était dès lors apparue comme un moyen incontournable de mobiliser les sympathisants pour le jour de l’élection. Ce n’est donc pas un hasard si Chris Hugues, l’un des fondateurs de Facebook, est le directeur de la campagne internet de B. Obama. Le site mybarackobama.com fonctionne à l’image de tous les sites de réseaux sociaux : parrainage, partage des profils, contacts directs entre membres du réseau, mise en place d’événements etc. Le système se développe parallèle au réseau IRL des Obama Camps, ces formations de deux jours qui initient les supporters du candidat aux techniques de persuasion, de démarchage téléphonique…
Pour l’instant, peu de socialistes semblent avoir pris conscience des formidables ressources offertes par les réseaux sociaux. Certes, dans l’optique du congrès de Reims, toutes les motions ont mis en place un site, et la plupart ont des groupes dédiés dans les grands réseaux sociaux de type Facebook. Seule la motion d’Utopia est nettement en retrait : sur son site, on peut uniquement télécharger la motion et… un coupon pour renvoyer sa signature. La plupart des autres permettent le téléchargement de la motion et sa signature en ligne, et reprennent les fonctionnalités de Désirs d’avenir : forum, référencement de blogs, vidéos, mise à disposition du matériel de campagne, agenda. Le site proposé par B. Hamon (dont le nom insiste sur son engagement européen) est à cet égard le plus proche du modèle original. D’autres incluent quelques originalités : le site de Bertrand Delanoë, qui permet de soutenir financièrement la motion, met à disposition des internautes des widgets pour leur blog et une « machine à tract » ; celui de Martine Aubry renvoie à des groupes de réseaux sociaux et propose aux internautes de déposer des arguments de campagnes. Le site de Gérard Collomb et Ségolène Royal est nettement en retrait par rapport à Désirs d’avenir, l’aspect participatif en étant pour l’instant totalement écarté.
Dans ce paysage traditionaliste, le site du Pôle écologique fait exception. Son nom (www.monpoleecologique.fr) est une référence explicite à la campagne de B. Obama. Il se présente comme un réseau social ouvert aux signataires de la motion, dont le profil est accessible au sein du réseau. Une carte de France permet de visualiser les signataires de la motion. Ceux-ci peuvent se contacter directement afin de monter des événements, également indiqués sur la carte. Les échanges entre militants (et sympathisants) sont ainsi facilités et court-circuitent la hiérarchie habituelle. Au sein du parti, cela pourrait induire une vraie révolution.
La notion d’amitié appliquée à la politique n’est pas nouvelle. Dans la Rome républicaine, les réseaux d’amis et de clients constituaient une nébuleuse contrôlée par les grandes familles au pouvoir. Lorsque Cicéron prodigue des conseils à son frère, candidat à une haute fonction à Rome en 64 av. J.-C., il l’incite à mobiliser ses réseaux et à se déplacer en ville entouré de tous ses clients afin de montrer son importance politique (toute ressemblance…). La moindre perturbation de ces relations hiérarchiques (on est l’ami de ses égaux, mais le client de ceux qui ont une position sociale plus élevée) représentait un danger pour les familles au pouvoir, prompte à se retourner contre les réformateurs trop audacieux. En 312 av. J.-C., le censeur Appius Claudius Caecus remplaça le système des curies, héritages des premiers temps de la cité et par conséquent construites autour de l’aristocratie traditionnelle, par celui de tribus géographiques où furent inscrits de nouveaux citoyens. En réduisant l’influence des oligarques (qui le lui firent payer à coup de procès et de dénonciations calomnieuses), Appius Claudius réussit à fonder un nouvel espace civique, plus démocratique. Sa réforme se matérialisa sous la forme d’un nouveau bâtiment destiné aux assemblées populaires : de forme ronde, il rappelait l’égalité de tous les citoyens, qu’ils fussent inscrits depuis peu sur les listes ou qu’ils appartinssent aux grandes familles se proclamant descendantes des proches de Romulus. Une partie des réformes d’Appius Claudius fut rapidement annulée par les oligarques. Ce censeur romain a souvent été comparé à Clisthène, le réformateur athénien qui, à la fin du VIe siècle, avait cassé la structure clanique du corps civique en réorganisant entièrement le réseau électoral de la cité. Il transforma les anciennes tribus, qui regroupaient les citoyens selon des unités géographiques soumises à l’influence d’aristocrates implantés localement, en nouvelles unités dont les membres étaient répartis sur tout le territoire attique. Sa réforme constitua pour Athènes un premier pas vers la démocratie, appelé isonomie.
Nouveau rapport au territoire (national et non plus fédéral), promotion du rapport direct entre signataires, constitution de communautés indépendantes des sections, ces caractéristiques du réseau social monpoleecologique.fr sont autant d’échos aux réformes des démocrates antiques. Le pôle écologique serait-il le Clisthène du PS ?
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