lundi 6 octobre 2008

La terre et le citoyen, un problème dépassé ?

À Athènes, tout citoyen avait droit à un lopin de terre sur le territoire de la cité. Et seuls les citoyens pouvaient posséder ces lopins de terre. À Sparte, il fallait posséder une terre pour être citoyen. Le lien entre citoyenneté et possession foncière était par conséquent extrêmement fort.
À Rome, ce lien était différent, d’autant qu’il a varié selon les périodes. Prenons « l’âge d’or », l’époque médio-républicaine (IVe-IIe siècle av. J.-C.). Lorsque Rome était victorieuse d’une autre cité, elle confisquait ses terres publiques (mais pas ses terres privées, la plupart du temps) et les intégrait à ses propres terres publiques, appelé ager publicus, le territoire public (les Romains sont des gens logiques). Cet ager publicus pouvait être loué aux citoyens romains (et à eux seuls) sous forme de lots inaliénables. La redevance était payée en nature à l’État romain. Là encore, le lien entre le territoire – la terre – et la citoyenneté était étroit.
Évidemment, les systèmes connurent des ratés : concentration foncière à Sparte (ce qui entraîna une diminution du nombre de citoyens), débordement des locataires les plus riches sur les terres louées par les plus pauvres à Rome. Et la question agraire (celle qui concerne la répartition des terres) conduisit à plus d’une crise politique.
On a peut-être tendance à l’oublier aujourd’hui.

Il y a quinze jours, le Monde a publié un article sur les investissements chinois au Laos, dans les plantations de caoutchouc. Le manque de forêts disponibles en Chine a amené les producteurs chinois de caoutchouc à s’installer au Laos, sur la forêt secondaire. Celle-ci est détruite pour être remplacée par des plantations d’hévéas. Pour beaucoup d’entre eux, les Laotiens trouvent leur intérêt dans cette transformation : la vente de leur terre leur a permis d’améliorer rapidement leur train de vie ; le besoin de main-d’œuvre a par ailleurs provoqué un vaste mouvement migratoire vers le nord du pays, là où sont implantées les forêts d’hévéas.
Ce phénomène d’achat des terres par des étrangers, qui peut être assimilé à du néo-colonialisme, n’est pas unique : les pays du Golfe achètent des terres en Ukraine, au Pakistan, en Ouganda etc, tout comme les industriels agroalimentaires ou les fonds d’investissement. Les régions concernées connaissent une forte spéculation foncière, les paysans risquent l’expropriation, sans parler de la déforestation induite et de la diminution des cultures vivrières, donc des ressources alimentaires pour les populations concernées.

Un modèle participatif avait été promu par le gouvernement laotien pour éviter que les plus vulnérables, tentés par la vente de leur terre à bon prix, ne connaissent des difficultés financières ou d’approvisionnement : au lieu de vendre la terre, le gouvernement avait préconisé que les paysans la conservent et touchent un revenu lié à la production. Mais la corruption et la pression de l’armée ont miné cette initiative.
Pourtant, dans les autres pays touchés par ce néocolonialisme agraire, c’est ce type de solution participative qui est soutenu par les ministères de l’aménagement du territoire (au Sénégal, par exemple). Car la conception selon laquelle l’État garantit l’accès pour tous à la terre n’est pas réservée à l’Antiquité. La terre est ce qui permet à chacun de survivre, et l’État a tout intérêt à éviter les crises de subsistance ou la ruine des petits propriétaires. Or, le modèle prédominant en Occident est une concentration des terres qui permet une mécanisation et des rendements accrus. Le lien entre le citoyen et la terre est coupé. Et lorsque les prix des produits alimentaires augmentent, ceux qui n’ont plus de terre n’ont pas d’autre moyen que payer plus cher, donc se rationner.
La mise en place de jardins partagés, la réactivation des jardins ouvriers sont autant de moyens de retrouver la pratique ancestrale de l’autosuffisance. Elle paraît rétrograde et égoïste. Mais elle évite que les industries agro-alimentaires ne prennent le pas sur l’un des devoirs de l’État : s’assurer de l’approvisionnement des citoyens, afin qu’il ne dépende pas d’intérêts privés mettant en péril la survie de chacun. 

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