Gilles Berhault est l’auteur d’un ouvrage intitulé Développement Durable 2.0, qui présente les nouvelles technologies de l’information et de la communication comme des alliées indispensables du développement durable grâce aux nouvelles manières de travailler qu’elles permettent et aux nouveaux comportements qu’elles induisent.
Ses positions sont très clairement expliquées dans un post du site Cleantech Republic. Ses analyses sont plus que pertinentes : économie fondée sur les relations interpersonnelles, nouveaux modèles de production fondés sur la collaboration (les logiciels libres en sont la meilleure illustration). Les questions qu’il pose sont justes et indispensables : sommes-nous prêts ? fournissons-nous aux adultes de demain la formation adéquate ? comment envisageons-nous le recyclage des déchets liés à ces nouvelles technologies ? quelle gouvernance adopter pour gérer un monde en interconnexion immatérielle ?
Néanmoins, il est un point de l’exposé de Gilles Berhault qui me pose problème :
« Pour la première fois, l’ensemble de l’humanité a un ennemi commun, le climat, et une capacité : agir ensemble à l’échelle de la planète ».
Le climat serait notre ennemi ? Depuis quand le climat est-il un sujet à part entière, une entité mauvaise qui permettrait de ressouder la communauté humaine ?
La désignation d’un ennemi commun est d’usage politique : face à un groupe qui tend à se désunir, susciter un adversaire permet de redonner une cohésion, parce qu’il crée une identité commune contre l’autre. Les empires, les nations ont toujours utilisé ce procédé, moteur des relations internationales. En 1906, William James proposait, pour mobiliser tous les citoyens dans la défense de la patrie, de faire la guerre contre la nature, en l’absence d’ennemi identifiable. Aujourd’hui, l’ennemi serait le climat, qui permettrait aux hommes de se mobiliser ensemble ?
N’est-ce pas se tromper de coupable ? Si le climat se modifie, est-ce de sa propre « volonté » ? L’ennemi à combattre est bien plutôt le comportement des hommes. S’il y a bien une mobilisation à décréter, elle ne doit pas se faire contre le climat mais contre les causes de ses modifications. Il ne s'agit pas de mener une guerre contre un ennemi invisible, mais bien de modérer nos propres excès.
Il y a quelques semaines, Henri Sztulman publiait dans le monde une analyse intitulée « dépression financière et malaise psychique » (en archive au Monde). Il y décrivait l’homme post-moderne comme « anonyme, interchangeable et solitaire », par manque d’identifications, sans lesquelles « il ne peut y avoir de construction durable de l’identité ».
« Si je ne peux me bâtir au sein d’une réalité qui tout à la fois se dérobe et m’échappe, je ne suis pas en mesure d’en saisir le principe et de me l’approprier ; il ne me reste que le plaisir, la jouissance illusoire, dangereuse, mortelle, du « tout, tout de suite », si bien exploitée par les techniques marchandes et la virtualisation des transactions ».
Cette analyse, dont l’angle est si différent de celle de Gilles Berhault (la virtualisation dénoncée par H. Sztulman ne renvoie-t-elle pas également aux relations humaines établies par les TIC ?), présuppose un même point de départ : la difficulté de se construire une identité. Pour l’un, cette difficulté induit des comportements régressifs ; pour l’autre, la nécessité d’entrer en lutte contre un ennemi aussi « immatériel » que les moyens de la lutte.
Plutôt que de faire la guerre au climat, ne serait-il pas plus sage d’en revenir aux « fondamentaux » qu’énumère H. Sztulman : « l’homme, ses origines, son destin, sa finitude, la dérisoire précarité de sa traversée en même temps que la certitude de son sens » ? Car la finitude humaine est un reflet de la finitude du monde dans lequel l'homme vit. En prendre conscience est déjà un acte créateur d'identité, qui ne conduit pas à lutter contre les conséquences des actions humaines, mais contre ces actions elles-mêmes.